Entrevue avec Anaïs Marchand-Favreau
Primavin : Coucou Anaïs ! Parle-nous un peu de ton parcours, as-tu toujours su que tu te destinais vers le merveilleux monde du vin ?
Le monde de la restauration m’a toujours fasciné, étant jeune j’avais le rêve de m’inscrire à l’ITHQ et d’intégrer ce domaine de haute voltige. Par contre, je n’avais pas vraiment de modèle autour de moi dans ce domaine et je ne savais pas trop si j’allais m’y plaire, c’était un choix somme toute risqué.
Entre le cégep et l’université, je suis partie faire du bénévolat en Indonésie et de retour au pays, j’ai été travailler quelques mois dans l’ouest Canadien, à Kelowna, dans un hôtel. J’ai pu donc m’immerger dans le monde de l’hospitalité et aussi faire la visite de plusieurs vignobles. Je suis littéralement tombé en amour avec la vigne.
De retour à Montréal, j’ai entamé mon BAC en travail social, idée qui me suivait depuis l’enfance, car je voulais faire une différence autour de moi, avoir un réel impact dans la société. Bien que j’adorais la matière, j’ai vite vu la limitation de l’impact concret que je pourrais avoir auprès des gens, ce qui va à l’encontre de ma personnalité fonceuse. Je suis une femme d’action. J’étais à la croisée des chemins.
C'est grâce à une amie qui venait de terminer son cours de sommellerie que je me suis finalement orienté vers le domaine qui me passionnait. J’ai donc intégré le programme de l’ITHQ, ne sachant pas ce qu’était un cépage, je partais de loin. Mais le feu en moi était très fort.
Durant mon parcours académique, j’ai eu la chance incroyable de faire des stages dans des établissements Relais & Châteaux et des vignobles en France. C'est vraiment là que j’ai pu appliquer la théorie et j’en ai profité pour absorber le plus de connaissances possible.
À mon retour, j’ai intégré l’équipe du Pullman, restaurant que j’estimais beaucoup pour sa carte des vins magnifique. J’ai eu la chance d’être appuyée par deux mentors au début de ma carrière, des femmes connues dans le domaine qui m’ont grandement influencée. Isabel Bordeleau au Pullman et Jessica Ouellet au restaurant La Chenaudière en Alsace.
Mon parcours m’a également emmené à faire des vendanges en Bourgogne et en Italie du nord. J’ai également passé mon WSET 3 et j’ai remporté la bourse Espoir SAQ en sommellerie ce qui m’a permis d’aller travailler en Afrique du Sud au Domaine de Adi Badenhorsth dans le Swartland. Pendant 5 mois, j’ai pu apprendre le monde fascinant de la vinification et de la microbiologie du vin. Ça m’a doté de lunettes pour mieux comprendre les efforts colossaux requis pour faire du vin naturel et comment contrôler les cuves dans une esprit non interventionniste. Quel apprentissage !
C’est à mon retour que j’ai débuté mon aventure dans l’importation de vins chez Oenopole, où j’ai pu évoluer pendant 4 ans comme représentante des ventes pour la région de Québec, les Cantons de l’est et Lanaudière.
Primavin : Tu as une formation classique en sommellerie, quel fut ton premier contact avec le vin naturel ?
Au début, je n’arrivais pas à apprécier les vins nature, comme mon palais était formé à trouver les défauts dans ceux-ci. Mon premier stage au domaine Causse Marines fut mon éveil sur le monde du nature. Une journée, nous devions épandre une préparation de purin d’ortie pour aider la vigne dans son processus de phytothérapie et j’ai vu les effets immédiats sur la plante qui est littéralement revenue à la vie. Virginie, la vigneronne, m’a amené visiter plusieurs vignerons natures des environs pour me faire goûter des vins nature bien faits sans défauts et c’est là que j’ai compris l’éventail des possibilités que cette philosophie pouvait offrir.
Primavin : Tu as aussi un projet de création de cuvées collaboratives Club de Jus, tu peux nous en parler ?
Deux amis à moi, Minh Doan et Vincent Boulanger voulaient faire une cuve collaborative avec un vignoble argentin pendant la pandémie. Ils m’ont approché pour m’occuper du volet marketing et ventes. Le projet est rapidement devenu un terrain de jeu expérimental pour aider les vignerons à tester des cuvées hétéroclites en petites quantités et pour certains, faire leur entrée sur le marché québécois. Le but était de mettre tout l’accent sur le producteur derrière le produit, raconter leurs histoires à travers de étiquettes de vins créatives et informatives créées en collaborations avec des artistes québécois.
La cuvée Oupsi, 100% élaborée par nous avec des raisins de Prince Edward County, verra le jour à l’automne. De beaux chardonnay vieillis en fûts pendant un an et puis en bouteille pendant un an également. Gardez l’oeil ouvert!
Primavin : Quel est la portion que tu aimes le plus de ton travail?
Les connections humaines, parler avec les vignerons, animer des dégustations, parler de vin quoi ! J’aime disséquer un vin, pour le côté plus geek, et la vulgarisation de mon analyse pour bien faire comprendre aux gens ce qui se cache derrière chaque bouteille et ainsi transmettre ma passion ça m’allume tellement!
Primavin : Tu aimes beaucoup recevoir, si on soupe chez Anaïs on mange quoi ?
J’adore recevoir, mais je ne suis pas routinière, je n’ai pas de recettes go to, comme ils disent ! Je m'inspire des gens qui m’inspirent comme Bon Appetit, le Elena et leur magnifique nouveau livre de cuisine. Mais en général les pâtes fraîches et les aliments de saison sont au menu, selon mon mood! Bœuf bourguignon, pâtes maison, poulet rôti, j’aime tester des choses ! Une tradition que j’affectionne particulière est la saison du crabe des neiges en gang au printemps. Pour la simplicité et la qualité du produit, je l’attends chaque année et je le savoure lentement.
Primavin : Et si tu avais UN accord à choisir?
Le crabe de neiges avec un vin électrique et vivant comme le chenin de Nicolas Reau Attention Chenin Méchant ou Premier Rendez-vous de Lise et Bertand Jousset. Chenin + crabe = amour !
Primavin: Le vin qui t’a le plus bouleversé ?
Les vins de macération de Paolo Vodopivek qui j’ai découverts en voyage dans un caviste à Turin. Quelle désinvolture et quelle personnalité ! Mes vins préférés sont les vins que je veux boire lentement, les sentir, les attendre. Les Manquants de Sylvie Augereau, un cabernet franc de course qui vieillit merveilleusement bien, m’a également beaucoup bouleversé. Quand j’ai découvert ce vin au Verdun Beach, j’ai dévalisé la cave.
Primavin : Dernière question ! Ton resto-chouchou à Montréal?
Le Mano Cornuto, carte travaillée avec classe, service décontracté et intelligent. Nourriture ultra délicieuse, autant pour un sandwich en takeout, qu’au lunch bien posé sur la terrasse.
Le Monarque pour les soirées plus spéciales! Le riz de veau! Le décor, la carte, l’ambiance, ils savent comment impressionner.
J’aimerais aller plus souvent au Paloma, mais c’est plus loin de chez moi. J’ai découvert les abats quand mon chum s’est mis à la chasse il y a quelques années, ce qui m’a appris à ne rien gaspiller et utiliser toutes les parties de l'animal. Le Paloma fait vraiment un beau travail pour mettre ces parties considérées moins nobles en valeur. Je ne pensais jamais tomber en amour par-dessus la tête avec de la cervelle !!!
Primavin: La mot de la fin ?
Au Québec, on a cet intérêt pour le vin qui est très présent. Des fois, je me demande pourquoi je fais mon travail et ma réelle raison d’être dans ce domaine c’est d’amener les gens à comprendre qui se cache derrière chaque bouteille. Pour la planète, notre palais, nos artisans, mon rêve c’est que tout le monde comprenne d’où vient leur produit et d’honorer le travail des artisans.
Mon amoureux est maintenant vigneron (1 des 4 pilliers de Lieux Commun), j’ai donc un accès quotidien à la vigne et au travail immense qu’implique la création d’un vin. J’ai le privilège de pouvoir me mettre les mains dans la terre souvent et je pense que c’est important pour rester connecter à la raison fondamentale de mon choix de carrière.
Santé!